Je vous propose une nouvelle qui a été écrite récemment afin de répondre à un concours de l’éditeur Arkuiris.
Le texte n’a malheureusement pas été retenu. Je partage avec vous un extrait de la réponse de l’Anthologiste :
je tiens à vous assurer que ce ne sont pas les qualités intrinsèques de votre contribution qui ont motivé cette décision, mais plutôt un ensemble de facteurs allant des goûts personnels à la sensation de « doublon » avec d’autres récits…
Je vous laisse découvrir cette histoire d’anticipation et j’espère qu’elle vous plaira.
Par une matinée ensoleillée, le bourdonnement d’un drone troublait la quiétude du lotissement joliment arboré situé dans un quartier résidentiel de l’Oise. L’engin s’arrêta devant une belle maison à la pelouse impeccablement tondue. Ses cinq pattes griffues maintenaient un colis, lorsqu’il utilisa l’un de ses appendices pour presser sur la sonnette, il relâcha légèrement sa prise sur le paquet. Celui-ci glissa et tomba sur le sol.
À l’intérieur, le signal de l’interphone retentit dans le cerveau de Loïc, il commanda à son implant relié au réseau domestique de lui afficher les images de la caméra sur la rétine. Tout d’abord, il ne vit rien, puis le sommet d’un drone apparut dans le champ. Celui-ci s’éleva encore un peu et Loïc constata qu’il transportait un carton cabossé entre ses longues pattes articulées.Loïc quitta sa table de travail pour aller ouvrir, la machine lui tendit le paquet en débitant les phrases programmées pour ce genre de cas. Le destinataire devait déballer le contenu afin de vérifier qu’il n’avait pas été endommagé. Sinon, il avait la possibilité d’effectuer une déclaration pour demander le remboursement. Loïc, qui n’avait rien commandé, s’empara du colis et constata qu’il était adressé à son épouse. L’étiquette électronique révélait que l’expéditeur était une société française dont le nom ne lui évoquait rien. Il hésitait sur la conduite à tenir, mais son interlocuteur robotisé se montrait extrêmement agaçant en volant à hauteur de visage. Loïc devinait qu’il ne partirait pas tant qu’il n’aurait pas vérifié de l’état du contenu. Il soupira, et, pour se débarrasser du livreur, il défit l’emballage et tiqua. En effet, à l’intérieur du carton, une boîte allongée et colorée présentait… un vibromasseur !
Un peu gêné, il confirma du bout des lèvres que l’incident était clos et fut soulagé de voir le drone quitter les lieux. Il rentra chez lui en se demandant pourquoi son épouse avait commandé cela. Prévoyait-elle de pimenter davantage leurs ébats ? Ou à l’opposé, souhaitait-elle prendre son plaisir en main ? Loïc eut la brève vision de sa femme jouant avec le vibromasseur et cela ne l’excita pas du tout, bien au contraire.
Troublé, il posa sur la table à manger le carton blanc illustré avec la photo grandeur nature de l’objet fuchsia. Loïc hésitait à contacter son épouse pour en discuter avec elle, mais elle se trouvait à son travail et il se voyait mal aborder le sujet en vidéoconférence. Il se résolut à attendre son retour.***
Il était près de vingt heures trente lorsque Mélinda rangea son véhicule dans le garage. La journée s’était révélée aussi épuisante que frustrante.
En effet, Alcalu, l’entreprise où travaillait Mélinda, avait racheté Erikia, une société qui œuvrait également dans les télécommunications. À présent, elle occupait un poste de premier plan aux ressources humaines et devait réorganiser les services du siège parisien ce qui amenait son lot de complexité et d’incertitudes. Au bureau, l’ambiance s’était détériorée, car la peur du licenciement exacerbait les ragots et les coups bas plutôt que la productivité.Épuisée, Mélinda n’aspirait qu’à une chose : aller se coucher. Elle entra dans la maison, traversa le couloir et arriva dans la salle à manger. Ses grands yeux bleus s’arrondirent de surprise quand elle remarqua le carton blanc avec la photo du vibromasseur.
— Que fait cet objet sur la table ? s’exclama-t-elle.
Loïc s’approcha d’elle et la fixa un instant avant de répondre.
— Je me pose la même question, il a été livré ce matin. Le paquet t’était destiné, mais comme son emballage était endommagé, j’ai été contraint d’en vérifier l’état.
Mélinda devinait que son époux exigerait une explication qu’elle se montrait incapable de fournir. « Comment ce godemiché a-t-il pu m’être envoyé ici ? » Elle n’avait rien commandé de tel, du moins elle l’espérait. Un horrible doute lui traversa l’esprit.
— Euh… je reviens, s’écria-t-elle avant de s’emparer de l’objet.
Elle fila sans demander son reste. Le miroir du couloir lui rendit l’image de son époux qui semblait aussi perplexe que vexé. Elle se sentit coupable de son attitude enfantine, mais elle devait absolument gagner du temps. Elle se réfugia dans son dressing et tout en se changeant, elle ordonna à sa puce de chercher l’origine de cet achat.
Le résultat lui parvint et elle se laissa choir sur le pouf. D’après la confirmation reçue sur sa messagerie privée, elle avait commandé l’objet à quatre heures du matin, alors qu’elle se trouvait au fond de son lit. Alarmée, elle pensa à un piratage et vérifia son compte bancaire, aucun autre paiement suspect. Elle parcourut son historique de navigation et constata qu’elle avait réellement effectué l’achat. Choquée, elle se passa une main sur le visage.Loïc avait évoqué le risque que courraient ceux qui dormaient avec leur Intex allumé. Il parlait d’actions inconscientes, et de dangers que la jeune femme avait oubliés. À l’époque, elle se déconnectait toujours avant de se coucher. Elle repensa au moment où elle avait commencé à enfreindre la règle. Ce jour-là, elle s’était remise au travail après le repas du soir. Elle avait à peine entendu son époux lui souhaiter bonne nuit. La fatigue avait eu raison d’elle et elle s’était assoupie. À son réveil, elle fut étonnée de découvrir que son Intex était connecté. Inquiète, elle procéda à des vérifications et lorsqu’elle consulta ses courriels, une réponse automatique lui arracha un cri. Son implant n’était pas resté inactif et elle fut agréablement surprise du fruit de son labeur onirique. Depuis lors, elle avait progressivement oublié ses craintes et actuellement elle n’éteignait plus son interface neuronale que le week-end. Par sécurité, elle avait configuré son programme de messagerie pour temporiser les envois durant la nuit afin de lui laisser le temps de les relire. Elle n’avait pas installé de blocage similaire sur sa carte de crédit. Elle nota mentalement de remédier à cela.
L’alarme du four interrompit ses pensées. Elle rangea ses habits avant de retourner au salon. Son époux avait posé la pizza sur la table et mangeait en regardant du sport sur l’écran commun. Il l’ignora quand elle s’assit à côté de lui. Ils dînèrent en silence.
Lorsque survint la mi-temps, Loïc se leva pour se préparer un café, mais Mélinda le retint.
— Excuse-moi pour tout à l’heure. J’étais gênée que tu découvres que j’ai effectué cette commande, reconnut-elle, penaude.
Loïc se retourna vers elle, il semblait sur le point de parler. Mélinda lui coupa la parole.
— C’est bientôt la Saint-Valentin, et je me disais qu’il valait mieux être équipée pour le cas où tu me laisserais tomber à nouveau. Je ne le souhaite pas, mais j’ai été tellement déçue l’année dernière. C’est bête, mais…
Elle préférait inventer cette justification plutôt que d’admettre qu’elle n’avait pas écouté les mises en garde de son mari et, par la même occasion, elle prenait sa revanche sur Loïc. Son malaise à l’évocation de cette fête lui procura une perfide satisfaction.
— Je trouve ton idée assez dérangeante, mais je te promets que cette année, je me rattraperai.
— Tu as intérêt, rétorqua Mélinda d’un ton mi-menaçant, mi-coquin.
Elle réalisa qu’il lui plaisait toujours autant. Ses cheveux gris faisaient ressortir le bleu de ses yeux, et son visage qui s’était arrondi avec les années lui donnait un air plus tendre. Elle lui décrocha un sourire chaleureux, qui encouragea Loïc à prendre l’initiative.***
Le lendemain matin, Loïc reconnut un code glissé dans le commentaire d’une de ses illustrations postées sur les réseaux sociaux. Il comprit que son contact l’attendrait à neuf heures à l’endroit défini. Il enclencha le mode furtif de son Intex afin de passer en veille une partie des fonctions de son implant. Cela lui permettait de travailler sur les dossiers remis par les « Azanches » le groupe de cyberjusticiers qui l’avait recruté il y a déjà quelques années.
Le bistrot qui se trouvait à côté du supermarché était peu animé. Loïc sirotait son cola à petites gorgées en regardant autour de lui. Il se demandait quelle mission allait lui être confiée, car d’habitude il n’avait pas besoin de se déplacer. Une dame obèse aux cheveux gras avançait avec difficulté, quand elle passa à sa hauteur, elle heurta la table et la bouteille de soda se renversa. D’un geste preste, elle la remit debout et dit :
— Heureusement qu’elle était vide.
Alors qu’il acquiesça, il sentit une communication entrante de proximité. Il ordonna à son Intex d’ouvrir le canal et la voix de la femme résonna dans son cerveau.
« Toilettes des hommes, deuxième étage »
Loïc attendit qu’elle parte, puis il paya sa consommation avant de se rendre dans le lieu indiqué.
Le robot nettoyeur venait de passer et une odeur de lavande fleurait les sanitaires. Simon était déjà arrivé. Ils échangèrent de brèves salutations, puis Simon entra dans le vif du sujet.
— Merci de t’être déplacé. Les sniffeurs de réseau ont intercepté un paquet de données extrêmement suspect. Après analyse, nos experts ont découvert qu’il s’agit d’un ver destiné à pirater un Intex. C’est la première fois que nous sommes aussi proches de démontrer la vulnérabilité des implants. Si nous arrivons à réunir les preuves et à informer le public, les inconscients arrêteront peut-être de rester connectés durant la nuit.
— Les gens ne se rendent pas compte du danger. Même Mélinda rit quand j’en parle, elle me prend pour un parano, alors que c’est la base de la sécurité, râla Loïc.
— Lucien estime qu’il s’agit d’une occasion en or pour avertir la population. Présenter un véritable exemple de manipulation marquerait davantage les esprits et impressionnerait ceux qui se croient à l’abri. Ils pensent à tort que leur conscience onirique est trop limitée pour constituer un risque ou que ça n’arrive qu’aux autres. Depuis longtemps, nous projetons de démontrer cette vulnérabilité. Nous devons découvrir les intentions des pirates durant cette intrusion et nous en servir. Cette mission est aussi prioritaire que politique. Je vais te transférer les éléments.
Loïc prépara un réseau privé. Simon s’y connecta et transmit les données. Loïc émit un petit son de surprise en parcourant les fichiers.
— C’est un encodage quantique, s’étonne Loïc.
— Oui.
— Merci du cadeau. Même avec l’aide des I.A. cela nécessitera plusieurs jours pour le craquer sans endommager le contenu.
— Tu disposes de quarante-huit heures pour découvrir ce qu’ils ont fait à cet homme, ordonna Simon d’un ton sans réplique. Nous devons prendre les pirates de vitesse. Une autre équipe est chargée de les localiser.
Loïc laissa échapper un profond soupir.
— Désolé d’insister, mais Lucien exige des résultats rapides. Mets-toi au travail et trouve ce qu’ils voulaient.
Loïc acquiesça avant de quitter les lieux d’un pas vif.***
Mélinda poussa la porte de la maison et se dirigea vers le bureau de Loïc. Elle l’observa dessiner, il travaillait sur un livre pour enfant et se concentrait sur le regard d’une vache qui louchait comiquement. Son mari leva la tête vers elle. Son sourire se figea aussi vite qu’il était apparu. Évidemment, il avait remarqué que quelque chose n’allait pas. Elle s’approcha de lui, avant de laisser éclater son désarroi :
— Je viens d’apprendre que Stéphane, a eu un accident de voiture alors qu’il rentrait chez lui. Il se trouve dans le coma.
— Je suis navré. Travaille-t-il dans ton service ?
Mélinda n’arriva pas à répondre, des larmes roulèrent sur ses joues. Loïc se leva et Mélinda s’accrocha à lui comme une naufragée à son épave. Elle libéra son chagrin et évacua les tensions accumulées ces derniers jours. Loïc la serrait contre son torse et cela lui donnait un sentiment de sécurité. Elle avait besoin de s’épancher. Son mari ne comprenait rien à la stratégie de management, mais il savait écouter. Elle avait confiance en lui et en sa discrétion. Elle se reprit avant de commencer ses explications :
— Je collabore avec lui depuis des semaines pour la refonte du service Recherche et développement qu’il chapeaute. Le directeur a exigé que je termine la restructuration et il m’a laissé jusqu’à demain dix heures pour décider qui sera limogé.
— Ne peux-tu pas demander un délai ?
— Malheureusement pas, car nous arrivons à la fin du mois. Je dois faire très attention, parce que ce groupe travaille sur un projet essentiel.
— Pourquoi licencier dans ce cas ? interroge Loïc.
— Pour réussir une fusion comme celle-ci, il est important de refondre en profondeur toutes les équipes sans exception. Cela concerne également ce service, même s’il est à l’origine d’une percée majeure dans un domaine dont je ne peux pas te parler, et qui risque de déboucher sur un brevet très lucratif. Il est composé de scientifiques de pointe qui se montrent aussi géniaux que capricieux. Stéphane a insufflé une dynamique de groupe positive et nous n’avions pas encore décidé qui devrait partir. J’ai peur de me tromper.
— Ne te mets pas la pression. Je suis persuadé que tu effectueras le bon choix. De toute manière, si ce service est si important, je ne vois pas pourquoi ils ne gardent pas tout le monde.
Loïc proposait toujours des solutions profondément humaines, mais inapplicables. Elle esquissa un pauvre sourire puis elle se colla à lui. Ses mains tentaient d’éveiller le désir chez Loïc, qui semblait peu réactif.
— Crois-tu que ce soit le moment de penser à cela ?
— Oui, mais on se dépêche, car après je dois me remettre au travail, insista Mélinda.***
Loïc avait de la peine à se concentrer sur son décryptage. Mélinda avait tendance à se montrer insatiable quand elle était sous pression et ce n’était pas pour lui déplaire. Parfois, il estimait qu’elle se laissait dévorer par son travail, mais pas ce soir. Il était ravi de pouvoir retourner à sa mission.
Alors qu’il lançait un outil de détection de stéganographie, un bit s’activa et son Intex relaya l’alerte. Loïc exécuta une déconnexion d’urgence, tandis que son cœur battait à tout rompre. Il craignait d’avoir déclenché un traceur destiné à localiser la personne qui touchait aux données.
Loïc suivit la procédure d’urgence en détruisant l’émulateur utilisé pour simuler sa présence à Bourg-en-Bresse. Il effectua la dernière étape qui consistait à envoyer un message codé à Simon pour l’informer de la situation.
Déçu par son échec, Loïc espérait qu’un café l’aiderait à recouvrer l’énergie suffisante pour tenter une autre approche. Il se dirigea vers la cuisine et il découvrit que Mélinda s’était endormie sur la table. Son visage reposait sur ses mains et elle ronflait légèrement. Loïc la trouva adorable et sourit. C’est alors qu’un hurlement strident lui vrilla le cerveau.
« Intrusion ! »
Loïc courut jusqu’à son bureau où il commanda la destruction des données sensibles, puis il retourna auprès de Mélinda qu’il réveilla sans ménagement.— Suis-moi !
Mélinda le regarda un instant les yeux hagards. Loïc ne pouvait pas lui laisser plus de temps, il l’agrippa par le bras pour l’encourager à se lever. Elle protesta.
— Mais arrête. Qu’est-ce qui se passe ? Il n’y a pas le feu quand même ?
— Non, il s’agit d’une autre menace. Je t’expliquerai, mais pour le moment chausse tes baskets sans poser de question. Nous partons immédiatement.
Mélinda céda devant l’air déterminé de son époux. Pourtant, elle prit le temps de récupérer son manteau, sa tablette et quelques papiers qu’elle glissa dans sa sacoche. Ensuite, elle emboîta le pas de Loïc qui sortit par la porte de derrière, traversa le jardin, puis se faufila à travers la haie grâce à un passage dissimulé par un arbuste chétif. Ils débouchèrent sur un chemin de terre qui longeait un champ. Heureusement que la lune éclairait un peu le paysage et permettait à Mélinda de voir où elle posait les pieds. Après quelques minutes de marche, ils rejoignirent une route peu fréquentée qui conduisait au village voisin. Loïc s’arrêta près d’une maison devant laquelle étaient garés deux vélos et un scooter. Il s’empara de ce dernier, intimant l’ordre à Mélinda de monter.
— Tu ne comptes pas le voler quand même. L’inspecteur Ruiz habite juste à côté.
Loïc fut surpris par la remarque de sa femme et il imagina le côté cocasse de la situation.
— Fais-moi confiance, souffla-t-il en lui montrant la clé.Alors qu’elle se demandait si son époux avait perdu la tête ou s’il pensait réellement s’enfuir avec elle sur un scooter électrique en pleine nuit, Loïc ouvrit le siège pour prendre deux casques. Puis il démarra l’engin et l’invita à monter. Elle s’exécuta et ils s’enfoncèrent dans la nuit.
***
Dans l’appartement qui leur servait de refuge, Mélinda faisait les cent pas. Son visage courroucé marquait son mécontentement.— Tu me réveilles en pleine nuit pour m’emmener ici afin de m’avouer que tu es un espion Azanche et qu’à cause de ta mission, de la plus haute importance, notre maison n’est plus sûre. Comment puis-je te croire, alors qu’il y a quelques heures je pensais que tu n’étais qu’un illustrateur sans histoire ?
Loïc dansait d’un pied sur l’autre, il se força à faire taire les remords qu’il ressentait pour avoir trahi la confiance de sa femme. Pour leur sécurité et celle du mouvement, il devrait s’assurer de son silence. Alors que Mélinda ne semblait pas prête à coopérer, vu la manière dont elle conservait les bras croisés contre son torse.
— Ce que je suis et ce que je fais sont des choses différentes, plaida Loïc. Je suis navré de t’avoir menti, mais je n’avais pas le choix. J’aime travailler pour les Azanches. Ils luttent pour la transparence de l’information et contribuent à améliorer le monde. Tu me reproches souvent de galvauder mon talent avec mon métier, mais en fait c’est une couverture. J’aurais voulu partager avec toi les succès que nous avons obtenus et, même si ce n’est pas de la meilleure manière, à présent tu connais la vérité.
Il l’observa afin de voir si ses paroles produisaient l’effet escompté, mais le visage de Mélinda restait fermé.
— Pourquoi avons-nous dû fuir la maison ? demanda-t-elle.
Avant que Loïc réponde, quelqu’un frappa à la porte. Il vérifia l’identité du visiteur puis ouvrit à Simon qui entra. Mélinda qui connaissait le « partenaire de tennis » de son époux afficha une moue suspicieuse. Loïc qui devina qu’elle s’apprêtait à lancer une remarque cinglante la devança.
— Simon est mon supérieur.
— Mélinda, nous ne plaisantons pas, des vies sont en jeu, insista Simon.***
Mélinda essayait de museler la voix dans sa tête qui répétait en boucle : « Loïc est un Azanche ». Elle avait entendu leurs arguments, mais hésitait sur la conduite à tenir. D’un côté, elle était furieuse des mensonges de son compagnon et de l’autre elle ressentait de la fierté, car elle admirait depuis toujours les Azanches. Cependant, elle estimait la trahison trop importante pour se montrer aussi rapidement conciliante.
— Vous me tirez du sommeil pour m’emmener de toute urgence dans cet endroit. J’ignore tout de vos complots et je ne vous ai rien demandé. Je ne tolère pas que cela empiète sur mon travail, alors que je dois rendre une décision cruciale pour demain à la première heure.— Je comprends ma chérie, mais nous sommes impliqués dans une mission capitale. Peut-être que si je t’en disais plus… ajouta-t-il en regardant Simon.
Celui-ci hocha la tête, l’autorisant à continuer.— Nous avons intercepté des fichiers, qui ont servi au piratage de l’Intex d’une personne, je devais les analyser pour récupérer des preuves. Malheureusement, j’ai déclenché une bombe numérique et en moins de cinq minutes, ils m’ont localisé. Nous devons découvrir l’identité des hackers et les neutraliser. Une vie humaine est peut-être en jeu.
— Pirater un Intex… répéta Mélinda, qui semblait ne pas comprendre.
— Oui, il est possible de rentrer dans l’esprit de personnes que nous appelons les conscients oniriques. Ceux-ci utilisent leur Intex durant leur sommeil et deviennent des cibles exploitées par des malfrats qui peuvent les manipuler en accédant à leur implant.
— Oh mon dieu, s’exclama Mélinda visiblement déstabilisée.
Loïc sentit qu’elle lui cachait quelque chose. Il allait l’interroger lorsqu’il réalisa que Mélinda s’était endormie en plein travail, il repensa également au vibromasseur et à l’air surpris de sa compagne. Les pièces du puzzle s’assemblèrent et il demanda.
— Tu utilises ton Intex durant ton sommeil, non ?
— Oui, avoua Mélinda d’une voix blanche.
Loïc frappa la table de son poing. Le teint de Mélinda s’était empourpré.
— Calmez-vous ! s’exclama Simon. Loïc, es-tu certain qu’entre le moment où tu as déclenché la bombe, détruit l’espace virtuel et entendu l’intrusion il n’y a eu que cinq minutes ?
— Absolument.
— Comment les Suédois sont-ils remontés si vite jusqu’à toi ?
— Les Suédois ? crièrent en cœur Mélinda et Loïc.
— Oui, nous avons pu localiser l’origine des données en ta possession.
Loïc réfléchit un instant avant de questionner Simon.
— Qui était la victime de l’attaque ?Simon interrogea son Intex puis s’adressa à Mélinda.
— Avant que j’explique quoique ce soit, tu dois me jurer de garder le secret sur ce que je vais révéler.
Mélinda ne ressentait plus de colère, elle voulait en apprendre davantage et mériter la confiance accordée par Loïc et Simon. Toutefois, elle ne comptait pas transiger sur son honnêteté.
— Je me tairais tant que cela ne nuit pas à mon travail ou à ma sécurité. Dans ce cas, je n’hésiterai pas à parler.Loïc qui savait que les Azanches utilisaient parfois les informations compromettantes — recueillies sur leurs adhérents et leur entourage — comme moyen de pression, fut soulagé que Simon tente de rallier pacifiquement Mélinda à leur cause.
— Nous nous trouvons du côté des gentils, insista Simon. J’apprécie ta loyauté et ta franchise. Nous cherchons la vérité et non pas à blesser quiconque. Loïc décryptait les données qui ont été récupérées lors du piratage. Le groupe vient de me communiquer le nom de la cible. Il s’agit d’un certain monsieur Préjeant, cadre chez Alcalu-Erikia. Que peux-tu nous dire sur lui ?
Mélinda accusa le coup.
— Êtes-vous pour quelque chose dans son accident ?
— Non, bien au contraire. Nous voulons mettre la main sur ceux qui l’ont visé. Il a été la victime d’une attaque psychique et physique, ajouta Simon.
Loïc fut surpris de découvrir que sa mission concernait un membre de l’entreprise où travaillait son épouse. Cet élément changeait tout et les pièces du puzzle s’assemblaient trop parfaitement pour que ça ne soit qu’une coïncidence.
— Simon, c’est Mélinda la cible. Chérie, raconte-nous tout ce que tu sais au sujet de ton collègue et de la décision que tu dois prendre.
— Je n’ai pas le droit d’en parler. Je croyais que…, sa voix se cassa.
Loïc frémit sous le regard désespéré de son épouse. Il eut le sentiment de la trahir une seconde fois.
— Mélinda, il se passe des choses graves et, avec l’aide des Azanches, nous pouvons tirer cela au clair, insista Simon, nous devons partager nos informations pour contrer les intentions malveillantes envers l’entreprise et ses employés. Pense à ce qui est arrivé à ton collègue. Tu dois collaborer avec nous.
Mélinda hésita un instant, mais l’air sincère de son époux la convainquit et elle se mit à les renseigner à son tour.
— Je dois annoncer demain au PDG le nom de la personne qui devra quitter le service recherche et développement.
— Est-ce que dans ce service, ils travaillent sur un sujet particulièrement sensible ? interroge Simon.
— Oui, ils vont déposer une demande de brevet sur une technologie qui augmentera la portée des transmissions quantiques. Cette invention améliorera la sécurité des transferts de données et assurera un avenir prospère à Alcalu-Erikia.
Loïc laisse échapper un rire nerveux. Mélinda pour la première fois depuis leur fuite, esquissa un léger sourire avant de poursuivre ses explications.
— Suite à l’absence de Patrick, j’ai été désignée pour décider lequel des quatre cadres devra partir.
Loïc se passa la main sur le front, l’affaire se corsait.
— À ton avis, Simon, s’agit-il d’espionnage interne, externe ou étatique ?
— Pour le savoir, nous devrons recourir à une taupe, affirma-t-il en fixant Mélinda.
Devant l’air ahuri de cette dernière, Loïc s’enquit d’une voix douce.
— Accepterais-tu de travailler pour nous afin de retrouver ceux qui cherchent à influencer cette décision ?
— Vous comptez vous servir de moi ? protesta Mélinda.
Loïc passa un bras protecteur autour des épaules de son épouse.— Je suis navré, chérie. Des inconnus agissent dans l’ombre et ils n’ont pas hésité à se débarrasser de ton collègue. Nous devons les arrêter et tu es la seule à pouvoir nous aider.
Les yeux de Mélinda s’agrandissaient au fur et à mesure qu’elle comprenait ce que les Azanches attendaient d’elle. Loïc imaginait le combat intérieur auquel elle se livrait et il développa ses arguments de manière objective. Il avait confiance en l’intelligence de son épouse et il la respectait trop pour la brusquer.***
Les arguments déployés convainquirent Mélinda. Elle accepta de les aider malgré l’angoisse qui lui nouait l’estomac. Heureusement, l’adrénaline qui pulsait dans ses veines lui apportait un sentiment de puissance et ce fut avec une précision méticuleuse qu’elle brossa le portrait de Stéphane Préjeant.
Loïc saisit les mots clés liés au contexte et au caractère de la cible. Ses doigts volaient sur le clavier projeté par son Intex, il mettait tout son talent et son cœur dans cette mission.
Pendant ce temps, dans la pièce voisine, Simon prodigua à Mélinda quelques explications sur la tâche qui l’attendait.— Cet appartement est un espace numérique contrôlé de type blockhaus. Nous avons la possibilité de simuler n’importe quel environnement en clonant les systèmes domotiques. Ton rôle consistera à t’installer dans la chambre attenante, et à dormir en laissant ton Intex allumé.
— Super mission. Après toutes ses émotions, je serai incapable de fermer l’œil.
— Je vais te guider dans ton sommeil, car tu devras te concentrer sur les personnes à licencier.
— Mais je ne contrôle pas mes rêves, protesta Mélinda.
— Ce n’est pas complètement vrai, tu disposes de la conscience onirique et en plus, je t’aiderai en pratiquant une rapide séance d’hypnose pour te relaxer. Grâce à ce petit appareil, nous déjouerons les intentions des pirates dès qu’ils se manifesteront.
— Comment fonctionne-t-il ?
— Il crée un lien direct et invisible entre ton Intex et un serveur Azanche. L’équipe pourra d’une part traquer l’activité de ton implant afin de découvrir ce qu’ils veulent et d’autre part rechercher l’origine du signal. Loïc s’en chargera, et je peux te promettre que les intrus auront peu de chance de lui échapper.Mélinda sourit tout en regardant le boîtier avec appréhension.
— Tout ce qui ne relève pas de l’affaire ne nous intéresse pas, ajouta Simon qui semblait avoir deviné ses craintes.***
Mélinda quémanda une pause à Simon avant de passer à la suite du plan et elle rejoint Loïc dans la pièce voisine.
Celui-ci semblait très concentré, et elle hésita à le déranger.
— Nous allons commencer et je voulais…
Elle se tut. Elle espérait des encouragements et un langoureux baiser, mais elle ne souhaitait pas le demander. Elle fut ravie de voir Loïc s’interrompre pour la prendre dans ses bras.
— Tout va bien se passer, Simon est un pro. Et n’oublie pas, la nuit porte conseil.
Après cette mauvaise boutade, Loïc déposa des petits bisous sur ces paupières. Elle leva le menton et ils s’embrassèrent. Puis Mélinda, ragaillardie, rejoint Simon pour débuter l’hypnose.
Pendant ce temps, Loïc clona le réseau privé de sa maison et leurra leur système domotique en simulant que lui et son épouse dormaient dans leur chambre. Ensuite, il dissimula les traqueurs et les programmes-espions destinés à pister les pirates. Il hésita à protéger l’implant de Mélinda avec un atténuateur, puis il renonça de peur de lui faire courir un risque plus grand. Il créa un accès pour les Azanches et contempla son travail avec satisfaction. La souricière était tendue.
Il ne restait plus qu’à patienter. Mélinda devait rendre sa décision dans quelques heures et l’attente lui paraissait interminable.
Soudain, un signal inconnu pénétra le réseau. Loïc remonta la chaîne de connexion des intrus jusqu’à un bâtiment de Stockholm. Pendant ce temps, Simon dupliquait les données avant de les laisser circuler dans l’esprit de Mélinda. Au bout d’une centaine de secondes, la liaison se brisa.***
Mélinda fut réveillée. Elle suivit les indications données par Simon et lut le texte qu’elle avait rédigé. Elle se sentit défaillir.
— J’ai limogé Marlène Raccord ! Mais, je n’en avais pas l’intention. Elle est compétente et je trouve important de conserver une femme dans l’équipe. En plus, le message a été expédié alors que d’habitude je ne fais que le programmer. Que vais-je faire maintenant ? Je ne peux pas revenir en arrière sans justifications.
— Rassure-toi, pour ton Intex le mail est parti, mais en réalité il est stocké dans le blockhaus. Nous avons encore la possibilité de le modifier avant de l’envoyer. Nous savons à présent ce qu’ils veulent tandis que le pirate pense avoir exécuté sa mission.
Mélinda laissa échapper un soupir de soulagement. Simon prit la parole.
— Nous avons besoin de comprendre s’ils souhaitaient se débarrasser de Marlène Raccord ou au contraire protéger un des employés restants.
Il établit une liaison avec le quartier général des Azanches et Mélinda résuma la situation :
— Hormis Marlène, les autres cadres sont : Blaise Merrien, c’est un docteur informatique quantique, il manque parfois d’inventivité, mais il n’a pas son pareil pour souder l’équipe. Il y a quatre ans, un chasseur de têtes l’a convaincu de quitter Erikia pour travailler pour nous. Il avait été plus que ravi de rentrer en France contrairement à son épouse. Gilles Sauvain est un ingénieur talentueux et autodidacte. C’est sans doute le plus doué, même s’il pique d’horribles colères. Nous n’avons jamais songé à le renvoyer. Le dernier se nomme Olaf Gertmund. Il dirigeait un projet analogue au siège d’Erikia et au moment de la fusion, il a accepté de poursuivre ses recherches en France. Il possède un doctorat de physique et il a participé à la mise en place des premiers échanges de données quantiques. Sa réputation le précède et il est compétent. Cependant, il a tendance à se disperser. François avait mentionné plusieurs fois son nom tandis que j’hésitais. Il est difficile de justifier le renvoi de quelqu’un aussi bardé de diplômes qui vient de la maison mère. François ne partageait pas mon opinion et se focalisait sur Olaf Gertmund et Gilles Sauvain. Nous avons exclu Marlène de la liste, car elle excelle dans l’algorithmique et elle s’entend parfaitement avec tout le monde. Elle garde le sourire alors que sa fille lui en fait voir de toutes les couleurs avec son addiction aux puces stimulantes.
— Les méthodes utilisées sont trop sophistiquées pour une vengeance de camée, affirma Loïc. N’oublions pas la provenance du signal, même si cela peut être un piège. Si le service comporte une taupe pour le compte des Suédois, ils auraient pu intervenir pour s’assurer que leur poulain reste à son poste, non ? suggéra Loïc.
Simon trouva l’hypothèse crédible, et Mélinda se mit à trembler.
— Je dois en référer au directeur général, mais je ne sais pas ce que je peux lui dire sans vous dénoncer.
Son regard inquiet se posait alternativement sur Loïc et Simon. Ce dernier semblait ailleurs. Il leva un doigt avant de déclarer :
— Les Azanches me transmettent de nouveaux éléments, je diffuse sur l’écran principal.
Aussitôt, le chef de la cellule apparut. Il se dissimulait derrière l’avatar de Lucien, le fondateur du mouvement. Son image était utilisée par tous les membres afin de lui rendre hommage et préserver leur identité.
— Nous avons obtenu la preuve que les Suédois ont épargné Blaise Merrien. Mais le meilleur reste à venir, l’attaque provenait d’un bâtiment fédéral.
— Il s’agit d’espionnage industriel, affirma Loïc.
Mélinda retint un cri, sous son apparence débonnaire, Blaise les trahissait pour le compte du gouvernement suédois.
— Nous pouvons être fiers de nous, reprit le faux Lucien Azanche. Mais nous ne sommes pas de taille à résoudre cette affaire, c’est pour cela que nous avons décidé de transmettre le dossier à un « contact » qui travaille pour les renseignements français.
Simon et Loïc lâchèrent une exclamation de surprise.
— Je sais que ce n’est pas notre manière habituelle de procéder, mais nous devons les laisser gérer le problème. Et, de toute manière, nous conserverons des preuves que nous n’hésiterons pas à publier, si nous pensons que c’est nécessaire.
Tandis que les voisins de Mélinda opinaient, celle-ci blêmissait.
— Les services secrets… Vais-je avoir des ennuis ? J’ai signé une clause de confidentialité auprès de mon employeur.
Le chef de cellule répondit à sa question.
— Vous serez déliée de cette clause et officiellement, vous ne savez rien. Votre seul tort est d’utiliser votre Intex durant votre sommeil. Votre collègue, monsieur Préjeant, faisait de même, mais nous supposons que ses talents étaient moins développés et comme ils ne sont pas parvenus à leurs fins, ils l’ont éliminé et se sont attaqués à vous. Combien de personnes travaillent de manière onirique dans cette entreprise ? Je me demande ce que fiche la sécurité informatique.
Mélinda se tassa sous le poids des reproches, tandis que son interlocuteur reprenait son calme avant de continuer d’une voix plus mesurée.
— Les renseignements comprendront rapidement que vous n’êtes qu’une victime innocente, ils ne s’acharneront pas sur vous, cependant, vous subirez un interrogatoire. Mais nous dépêcherons un avocat si nécessaire. Simon vous préparera pour répondre à leurs questions et ensuite, vous rentrez discrètement chez vous. Les lieux sont sûrs, mais une équipe demeurera en poste pour veiller sur vous. Il s’agit d’une simple précaution, car je suis persuadé que nos adversaires croient que leur mission a été couronnée de succès.
Mélinda n’écoutait plus le reste des explications, car elle stressait à l’idée de se faire interroger et de devoir mentir.
— C’est bientôt fini, encouragea Loïc.
— Mélinda, je t’aiderai à répéter ton rôle. Ils possèdent toutes les preuves donc ils ne devraient pas insister. Tu prétendras que tu as avancé sur le dossier durant la nuit, comme d’habitude, et que tu ne sais rien de plus. Est-ce clair ?
Mélinda le fixa dans les yeux et sa voix tremblait un peu quand elle affirma :
— De toute manière, je n’ai fait que travailler en dormant.***
De retour chez eux, Mélinda et Loïc se mirent au lit et la fatigue finit par l’emporter sur la tension. Ils s’endormirent d’un sommeil agité.
Lorsque la sonnerie de la porte les réveilla, Mélinda vérifia les images de la caméra d’entrée avant de s’écrier :
— C’est l’inspecteur Ruiz !
— Est-il seul ?
— Non. Il est accompagné. Ne me dis pas que tu as réellement volé le scooter !
— Absolument pas. Reste calme, Bernardo sert uniquement de couverture à l’autre type. Concentre-toi sur ton rôle.
Loïc ouvrit la porte avec se femme sur ses talons. Bernardo les salua plus froidement qu’à l’accoutumée, puis il leur annonça que son collègue avait quelques questions à poser à Mélinda en relation avec son travail. Il ordonna gentiment, mais fermement, à Loïc de patienter à l’étage tandis que Mélinda les conduisit dans la seule pièce fermée du rez-de-chaussée, le bureau de son époux.
Les minutes défilaient et Loïc s’inquiétait pour Mélinda tout en espérant ne pas avoir laissé en vue un quelconque document compromettant. Soudain, il entendit des voix. Le huis clos avait pris fin. Il descendit les escaliers et croisa le regard de Bernardo qui lui fit un signe de tête discret indiquant que tout allait bien. Mélinda raccompagna les visiteurs à la porte.
Dès qu’ils se retrouvèrent seuls, Loïc s’avança vers elle.
— Comment ça s’est passé ?
— Ils ont tout pris en mains, répondit-elle visiblement soulagée. Malheureusement, je n’ai pas l’autorisation d’en parler : « secret Défense ».
— Que peux-tu me raconter sans trahir ton serment ?
— Ils m’ont crue. Ils se sont montrés peu loquaces, mais j’ai compris qu’ils géraient la suite des opérations. Ils prétendent que je constitue un danger pour l’entreprise et qu’ils vont suggérer à mes supérieurs d’organiser des tests de conscience onirique à toutes les personnes travaillant à des postes clés.
Elle effectua une moue un peu triste avant d’affirmer.
— Connaissant mon employeur, je vais certainement être mutée dans un placard doré.
Loïc se sentit coupable et la questionna avec délicatesse :
— Comment le vis-tu ?
Mélinda répondit d’une voix hésitante.
— J’ai investi beaucoup de temps et d’énergie pour construire ma carrière, mais en même temps, j’ai négligé les loisirs et notre vie de couple. Peut-être que je pourrai les remonter dans ma nouvelle liste des priorités et je me demande si certains de mes talents pourraient servir dans tes activités annexes. Lutter pour une noble cause me tente.
— Voyons, je ne suis qu’un petit illustrateur indépendant, complètement dépassé par la technologie. En revanche, j’apprécierais que tu me prépares un copieux petit-déjeuner, je travaille mieux le ventre plein.
Mélinda, qui savait que cette remarque sexiste n’était qu’une provocation, rentra dans le jeu et lui envoya un coup de poing taquin, mais bien senti sur l’épaule.
Loïc fut coupé dans son élan par la sonnette. Mélinda frissonna intérieurement. Avait-elle mal répondu à l’une des questions ? Allait-elle subir un nouvel interrogatoire ? Prestement, elle activa son Intex et découvrit avec surprise un drone qui tenait un petit colis. Immédiatement, un fâcheux pressentiment la fit rougir. Elle ouvrit la porte en grand et récupéra le paquet qu’elle jeta sur la table du salon. Loïc s’approcha, regarda l’expéditeur et sourit.
— Qu’as-tu commandé cette fois ?
Mélinda maugréa intérieurement, elle réalisait que malgré la séance d’hypnose censée la canaliser, elle s’était rendue sur le site d’objets coquins et elle n’avait aucune idée de ce qu’elle avait pu acheter. Elle se reprocha de ne pas avoir activé la protection de sa carte de crédit.
— Rien d’important, répondit-elle gênée.
— Si c’est vraiment le cas, pourquoi ne veux-tu pas me montrer ?
Loïc fit mine de s’en emparer du paquet, mais Mélinda le devança et le déballa. Dedans se trouvait un minuscule déshabillé qu’elle tint à bout de bras avec un large sourire. Heureusement, elle n’avait pas commandé un collier de chien ou pire encore.
— Très intéressant.
Loïc fixait la nuisette avec envie, mais il se ressaisit et c’est avec un grand sérieux qu’il s’adressa à elle :
— Es-tu disposée à t’engager dans notre mouvement ?
— Oui, répondit avec ferveur Mélinda flattée par la confiance qu’il lui accordait.
— Dans ce cas, je demanderai aux Azanches de ne pas abuser de tes talents oniriques, conclut Loïc en louchant comiquement sur la pièce de lingerie puis il éclata d’un rire tonitruant.
Mélinda faillit se vexer, mais la joie de son conjoint fut contagieuse et la rigolade se termina dans une étreinte passionnée qui continua dans leur chambre.